III
L’APPAT

Debout sur ses jambes écartées, le lieutenant Jonas Paice observait le long beaupré du Télémaque, lance acérée montant bravement à la vague avant d’enfourner sauvagement. Lame après lame, le cotre forçait sa route contre un clapot de plus en plus creux.

Bien loin au-dessus du mât, des lambeaux de nuages défilaient, poussés par une forte brise de nord-est, dans un ciel plus automnal que printanier.

La journée tirait à sa fin. Le voilier accusa un coup de gîte. Paice changea légèrement de position, mais sans vaciller. Le navire faisait route sous foc, trinquette et grand-voile bordée serré, remontant dans le vent à bonne vitesse ; comme pour confirmer leur grisante impression de vitesse, le timonier hurla :

— Près et plein, Monsieur ! Nord-quart-ouest !

Pour une fois, le plaisir d’une brutale chevauchée au près serré ne lui faisait pas bouillir le sang. C’était leur troisième jour de patrouille ; ils tiraient bordée sur bordée dans un vaste triangle de la mer du Nord, aux atterrages nord-est du Kent.

Peut-être aurait-il dû tenir sa langue et attendre paisiblement que le commandant Bolitho, las de pourchasser les contrebandiers, résolût d’aller se reposer à terre, comme le commodore du quartier général. Mais Paice avait reçu d’importantes nouvelles : un informateur, qui avait sa confiance de longue date, lui avait annoncé qu’un « coup » se préparait quelque part sur la côte du Deal, pour la veille au soir ou le soir même. Paice avait été pris de court par l’intérêt qu’avait soudain manifesté Bolitho, et frappé par la rapidité de sa réaction. Sans désemparer, le capitaine de frégate avait donné au Télémaque ordre d’appareiller, tandis que lui-même embarquait avec Queely sur le Wakeful. Ils étaient convenus d’un point de rendez-vous, où Bolitho avait changé de bord.

Pour le moment, Bolitho était en bas, penché sur les cartes, comparant ses notes avec celles du cotre. « Il a l’air à bout de forces », songea Paice. Il entendit Erasmus Chesshyre, le maître par intérim, donner ses ordres au timonier puis, traînant sur le pont ses bottes de mer, venir le rejoindre près du pavois.

Côte à côte, ils regardèrent un instant les puissantes lames d’un vert grisâtre monter jusqu’à la préceinte, et les vastes gerbes d’embruns se déployer en éventail au-dessus des sabords bien fermés. Le cotre, vibrant dans la brise, prenait des coups de gîte spectaculaires. Chesshyre était maître principal, avec sous ses ordres un autre officier marinier. Mais on l’appréciait depuis longtemps ; avec un peu de chance, il ne tarderait pas à être promu maître de manœuvre ; et si la guerre éclatait, on ne le laisserait pas moisir à bord du Télémaque, il irait présider aux manœuvres et à la navigation côtière de quelque gracieuse frégate.

Paice fronça les sourcils. Si Bolitho ne racolait pas davantage de déserteurs au bénéfice de la flotte, celle-ci embaucherait en priorité les équipages de ses cotres. C’était aussi injuste qu’inévitable. Les cotres représentaient une marine dans la Marine. Leurs équipages se composaient en majorité de volontaires venus des hameaux et villages côtiers où l’on ne péchait plus. C’étaient donc des marins confirmés qui avaient cherché à s’embarquer sur des unités de la Marine. Nombre de matelots se connaissaient depuis longtemps, avant même d’être enrôlés. La discipline n’exigeait pas qu’on se montrât particulièrement féroce, et on appréciait les qualités de meneur d’hommes plus que les galons dorés. Chesshyre jugea que le moment était venu :

— A partir de cette nuit, Monsieur…

Paice l’interrompit en se tournant vers lui :

— Nous continuerons jusqu’à recevoir l’ordre contraire.

— A vos ordres, Monsieur, opina Chesshyre d’un air maussade.

Le pont sembla se dérober sous leurs pieds et un déluge d’embruns, monté très haut dans la mâture, emplit d’un coup la yole ruisselante solidement saisie sur le pont depuis le début du quart. Au-delà de la lisse de couronnement, loin sur l’arrière, s’étirait la côte du Kent, complètement cachée par la boucaille. La nuit venue, on n’y verrait pas plus clair que dans une botte.

— Quel temps de chien ! s’exclama Paice. Tu te rends compte ?

Chesshyre haussa les épaules. Il ne savait que dire.

— Oui, Monsieur. Un temps idéal pour faire un gros coup. On pourrait passer à les frôler sans les voir.

— Saloperie !

Paice pensa aux précautions méticuleuses prises par Bolitho pour cacher leurs mouvements, et notamment à l’idée qu’il avait eue de changer de bord. Un espion basé à terre qui l’aurait vu embarquer sur le Wakeful ne pouvait deviner qu’il se trouvait à présent à bord du Télémaque. Paice repensa à son jeune collègue, Vatass : bien tranquille en cale sèche avec son Snapdragon, le veinard restait complètement en dehors des actions en cours.

Paice jeta un coup d’œil à ses hommes, qui courbaient le dos sous la bourrasque. Tous des matelots bien amarinés : point n’était besoin de leur dire quand il fallait épisser une manœuvre usée par le ragage, ou quand on devait prendre un tour supplémentaire pour tourner une drisse au cabillot. Les rares fois où le Télémaque restait au mouillage, on allait jusqu’à les autoriser à descendre à terre. Jamais on ne les aurait traités ainsi sur de plus grands vaisseaux, qu’on fût en paix ou en guerre.

Il apercevait les deux vigies agrippées à la vergue de hunier – deux singes dégoutants, ruisselants d’embruns. Le Télémaque faisait route au près serré avec son hunier soigneusement ferlé : il avait une bonne chance d’apercevoir une autre voile avant d’être lui-même découvert.

Depuis leur appareillage, ils avaient écumé des eaux pratiquement désertes ; à croire que les navires de bornage et de commerce naviguant en Manche hésitaient à faire voile sans une escorte de navires de guerre. La France était tapie de l’autre côté de la mer, tel un fauve furieux occupé tantôt à lécher ses plaies, tantôt à cracher du feu sur tout ce qui bougeait. Chat échaudé craint l’eau froide : bien peu d’hommes de mer expérimentés étaient disposés à entreprendre la traversée.

— Tout le monde sait, Monsieur, insista Chesshyre, que le Kent grouille de contrebandiers.

Le regard que Paice lui lança lui cloua le bec, et il pensa qu’il aurait mieux fait de se mordre la langue que de raviver chez son commandant une plaie ouverte.

En embarquant sur le Télémaque, il s’était demandé ce qui avait bien pu pousser le capitaine armateur d’un brick charbonnier, seul maître après Dieu de son affaire et de son destin, à s’enrôler dans la marine de guerre en qualité de simple maître principal. Et peu à peu, tout en s’intégrant au petit équipage du Télémaque, il en avait appris davantage sur le surprenant itinéraire de ce grand gaillard de lieutenant.

Paice avait été marié peu de temps à une femme qu’il connaissait depuis de longues années. Un jour qu’elle rentrait chez elle, après une visite chez ses parents, elle avait dû assister, à sa grande horreur, à l’attaque d’un agent du fisc par une douzaine de contrebandiers notoires. Une simple correction, au début, mais qui s’était soldée par la mise à mort du douanier, sous les regards indifférents ou craintifs de nombreuses personnes. La femme de Paice avait conjuré les témoins de s’interposer, mais voyant qu’ils préféraient rester passifs, elle s’en était prise aux mécréants. Le douanier à ce moment-là était déjà mort. C’est alors qu’un contrebandier, levant son pistolet, l’avait abattue sans autre forme de procès. A bon entendeur, salut : pour la foule des présents, l’avertissement avait plus de portée encore que l’exécution de l’agent des douanes.

— Je… Je suis confus, Monsieur, bafouilla Chesshyre en se détournant. J’avais oublié…

— Ne vous excusez pas ! Ni maintenant ni plus tard. Pas tant que vous servirez à mon bord.

On entendit des pas dans la descente et Bolitho se hissa jusqu’à eux. Il était tête nue, le vent ébouriffait sa chevelure noire. D’un coup d’œil, il s’assurait du bon réglage des écoutes et de la force de la mer qui écumait sous le vent. Comme l’avait fait son frère à bord du cotre l’Avenger, il y avait si longtemps. Le maître par intérim le salua en portant la main à son front :

— Je vais relever le timonier, Monsieur.

Il allait s’éloigner vers l’arrière quand Bolitho l’interpella :

— Es-tu du Kent ?

— Oui, Monsieur.

Chesshyre le dévisageait, circonspect, oubliant un instant l’éclat de Paice :

— De Maidstone, Monsieur.

Bolitho acquiesça ; c’est la voix de l’officier marinier, et l’accent un peu traînant du Kent, qui lui avaient vivement rappelé Thomas Herrick, son second pendant tant de mois et surtout son indéfectible ami. Chesshyre avait d’ailleurs le même regard bleu pâle. Combien de fois avait-il vu les yeux de Herrick changer au gré de son humeur, trahissant tour à tour l’obstination, le tourment, la douleur ? En ces sentiments s’étaient bien souvent reflétées les propres pensées de Bolitho. Les deux hommes s’étaient quittés quand le Tempest avait appareillé pour l’Angleterre, après une dernière bataille sauvage contre les navires de Tuke.

Bolitho était resté longtemps entre la vie et la mort, en proie à ses fièvres, avant de rentrer plus tranquillement à bord d’un gros transport de la Compagnie des Indes. Où était Herrick, à présent ? Quelque part sur la mer, songeant de son côté à ce qu’ils avaient souffert et réussi ensemble. Bolitho s’aperçut qu’il fixait toujours le maître par intérim :

— Vous me rappelez un ami. Avez-vous jamais rencontré le lieutenant Herrick ?

Un bref instant, Bolitho vit que l’homme baissait la garde, prêt à dévoiler ses sentiments intimes ; mais le moment de grâce ne dura pas :

— Non, Monsieur, coupa-t-il.

— Nous pourrons virer de bord dans deux heures, proposa Paice.

Et levant les yeux vers le ciel :

— Après, il fera trop sombre pour rien y voir.

Bolitho considéra le profil volontaire du lieutenant :

— Vous pensez que j’ai tort ?

Il n’avait point attendu de réponse, d’ailleurs elle ne vint pas. Inutile d’espérer de Paice une réaction spontanée. Bolitho eut un mince sourire :

— Vous devez vous dire que je suis fou.

Paice le regarda un instant, mais le tourmentaient encore d’autres pensées : pourrait-il jamais oublier comment sa femme avait péri ?

— D’autres que moi, Monsieur, vous demanderaient peut-être pourquoi vous prenez les choses tellement à cœur.

Bolitho s’essuya le visage avec la manche de son vieil habit :

— A mon avis, la contrebande représente une tentation irrésistible, et ce n’est pas de sitôt que les choses changeront. Tous les contrebandiers savent qu’ils risquent de finir pendus, mais dans certaines paroisses, on vous passe la corde au cou pour le vol d’un poulet. Et les profits sont loin d’être les mêmes. Alors…

Il frissonna sous un nuage d’embruns qui s’abattait sur ses épaules :

— La Marine manque de bras. Contrebandiers ou pas, la discipline aura tôt fait de les remettre sur le droit chemin.

Lors de son bref passage à bord du Wakeful, son commandant, l’homme au profil de faucon, s’était ouvert à Bolitho et lui avait révélé l’histoire de la femme de Paice. Au moment de quitter sa cabine, Bolitho avait surpris la dernière phrase de Paice, inintelligible pour qui ignorait le contexte.

— Comme moi, hasarda-t-il, vous êtes en deuil. Il ne manque pas de gens pour penser que cela nous rend vulnérables.

Le cotre eut un coup de roulis et Bolitho se rattrapa à une couleuvrine montée sur le pavois. Il ajouta brusquement :

— Mais à mon sens, cela nous rend plus… sensibles, comme on dit.

Paice déglutit avec effort. Il avait le sentiment de se retrouver nu, sans défense. Comment le capitaine de frégate était-il au courant ? Et quel secret le torturait ?

— N’ayez crainte, Monsieur, répondit-il d’un ton bourru, je suis avec vous.

Bolitho lui effleura le bras et se détourna. Les paroles de l’amiral étaient encore présentes à son esprit : « Vous avez carte blanche, pour autant que vous respectiez vos objectifs. » Des mots. Rien d’écrit noir sur blanc. Une phrase sans valeur si les choses venaient à tourner mal.

— Peut-être l’avenir vous fera-t-il regretter ces paroles, monsieur Paice, mais je vous en remercie.

Allday surgit de la descente et attendit un instant, cafetière au poing, que le pont revînt plus ou moins à l’horizontale.

Il tendit une tasse de café à Bolitho en jetant un coup d’œil à ceux qui se trouvaient là : le maître Chesshyre et son adjoint Dench, sur le point de relever les timoniers, et le monumental maître d’équipage Luke Hawkins. On avait de la peine à retrouver en lui la tendresse du mousse s’embarquant pour la première fois à l’âge de sept ans. Le Télémaque, plus petit qu’un navire de cinquième rang, n’avait pas de commissaire ; c’était l’écrivain, Percivale Godsalve, petit homme pâle à la voix flûtée, qui en tenait lieu. Les mois passés en mer n’avaient pas réussi à lui tanner le teint, qu’il avait toujours blafard. Evans, un chef de pièce au caractère raboteux, avait prévenu Allday :

— Pas de passagers sur ce navire, mon pote ! Chacun met la main à tout !

Quant à la présence à bord de Bolitho, Allday savait à peu près à quoi s’en tenir : les matelots le considéraient avant tout comme une menace, un émissaire de cette autre marine dont ils savaient si peu de chose. Seuls une poignée d’officiers mariniers en avaient une expérience plus ou moins directe. Allday était convaincu que Bolitho avait tort de se donner tant de mal. Pourtant, lui-même avait déjà risqué sa vie pour sauver celle de son chef, et il aurait recommencé sans hésiter une seconde. « Il a mérité mille fois de se la couler douce, nom de Dieu ! » Aux autres de courir les risques et de risquer les blâmes – ennuis distribués à l’aveuglette, contrairement aux parts de prise. N’eût-ce été pour suivre son chef, Allday n’aurait jamais embarqué à nouveau. Mais Bolitho aimait la marine, c’était toute sa vie. Cet amour, Allday ne l’avait vu chanceler qu’une seule fois, mais la dame du commandant était morte, à présent, la mer avait eu raison de sa seule rivale. Il regarda Bolitho super avec délectation son café fumant ; ils en avaient tant vu ensemble ! Par-dessus le pavois, la crête des vagues écumait. Et voilà qu’ils étaient de nouveau réunis en mer. Si seulement…

— Holà, du pont ! Voile en vue !

Revenant à lui, Paice leva un visage tendu vers les deux vigies qui gesticulaient :

— Sous le vent, par la hanche bâbord ! claqua encore la voix de la vigie.

Bolitho constata que le lieutenant ne perdait pas une seconde.

Raflant au passage une longue-vue, il s’élança dans les enfléchures au vent avec une agilité féline.

Bolitho essayait de maîtriser l’onde d’excitation qui le secouait tout entier, comme la gifle d’un seau d’eau glacée.

Peut-être n’était-ce rien du tout, un navire isolé qui courait se mettre à l’abri avant le crépuscule. La nuit, les eaux de la Manche étaient traîtresses : avec le coup de chien qui se préparait, aucun bruit ne valait le plongeon de l’ancre dans un mouillage sûr.

Bolitho songea aux efforts désespérés que lui coûtait la moindre ascension dans la mâture. Combien de fois ne s’était-il pas contraint à se hisser sur les enfléchures déchaînées, s’agrippant à un étai et tâchant de ne pas regarder, en dessous, le pont et la surface affolée de la mer ?

Paice n’avait pas ce genre de souci. Il eut tôt fait de revenir sur le pont. Son visage, aux dernières lueurs du soleil couchant, ressemblait à un masque de pierre ; de retour à l’arrière, il s’était complètement ressaisi :

— C’est le Loyal Chieftain, Monsieur, annonça-t-il, de Deal. Je le connais bien. Mais ce nom de Loyal, cracha-t-il, lui va comme des besicles à un goret !

Mais ce n’était pas le moment de discuter. D’un instant à l’autre, le nouveau venu allait apercevoir les voiles du Télémaque.

— Virez de bord, monsieur Paice ! ordonna Bolitho. Aussi vite que vous pouvez.

— A larguer le hunier !

— Pare à virer vent devant !

Des pieds nus martelaient le pont au pas de course ; d’autres silhouettes jaillirent de l’entrepont, répondant aux coups de sifflet stridents des quartiers-maîtres.

— Largue et borde !

A l’appel tonitruant de Hawkins, des hommes s’alignèrent au palan de grande écoute pour border la bôme bien serré.

— Dessous la barre ! Envoyez !

Bolitho agrippa une batayole et regarda les voiles qui claquaient comme des bannières en folie. Les deux timoniers, assistés de deux matelots en renfort, avaient mis la barre dessous ; le cotre venait rapidement dans le vent. Soudain, ils se retrouvèrent sous leurs nouvelles amures ; continuant à abattre, ils poursuivirent sur leur erre au grand largue, courant avec les déferlantes tandis que l’étrave se frayait un chemin entre deux gerbes d’embruns. Ce navire avait des ailes !

Paice s’épongea la figure. Le hunier s’emplit d’un coup avec un bruit de tonnerre : il semblait aussi rigide qu’une cuirasse. Elevant la voix pour dominer le tumulte, Paice lança :

— Une minute de plus et ce gredin passait derrière nous !

Voyant l’expression de Bolitho, il ajouta :

— Son capitaine s’appelle Henry Délavai. Un contrebandier bien connu, mais on ne l’a jamais pris la main dans le sac. Que Dieu le maudisse ! Il commande un brick bien armé, dans tous les sens du terme !

La rancœur à nouveau s’emparait de lui :

— Et ça, ce n’est pas un crime, comme ils disent !

— Le voilà, Monsieur, par le bossoir bâbord !

C’était le lieutenant Triscott qui se disposait à prendre son quart ; il s’était rué sur le pont en catastrophe, il avait encore sur les manchettes des traces de beurre et des miettes.

Paice croisa brusquement ses grosses mains dans son dos. Ses yeux en disaient long ; pourtant il se contenta de grommeler :

— On le tient !

Bolitho se cala la hanche contre le capot de descente et tenta de braquer sa lorgnette sur l’autre navire.

Au-dessus des crêtes dansantes échevelées çà et là par une survente, il aperçut les huniers du brick, couleur de cuivre sous les derniers rayons du couchant. La coque n’était pas encore visible, et il se dit que Paice ne l’avait identifié qu’après être grimpé dans les hauts. Jamais encore il n’avait vu Paice montrer une telle émotion, ni une telle haine. Pour le commandant du cotre, le souvenir de Délavai devait être associé à celui de sa jeune femme.

— Il envoie sa trinquette, Monsieur ! beugla Hawkins.

Bolitho approuva de la tête, oubliant les embruns qui le trempaient des cheveux aux semelles. Profitant du vent disponible, le brick lui aussi avait laissé porter ; au-dessus des vagues déchaînées, ses deux mâts avaient l’air de s’être rapprochés ; maintenant, ils étaient presque alignés.

Paice regarda Bolitho. L’anxiété lui creusait les yeux :

— Monsieur ?

On voyait qu’il avait envie d’en découdre. Bolitho baissa sa lorgnette :

— Accordé ! Arraisonnez-le !

Il allait ajouter que le capitaine du brick avait peut-être pris le Télémaque pour un corsaire français, et qu’il fuyait pour tenter de se mettre en sûreté. Mais devant le zèle de Paice, il avait vite renoncé à avancer l’hypothèse. Paice connaissait son homme, et Délavai, en retour, avait dû les identifier avec certitude.

— Laissez porter, monsieur Chesshyre ! Abattez de deux quarts : gouvernez au sud-ouest quart-ouest !

Les matelots se précipitèrent vers le palan de grande écoute et la retenue de bôme, afin de déborder celle-ci un peu plus loin au-dessus de l’eau. Le maître principal, Dench, gardait le nez contre l’habitacle du compas, les cheveux lui collant au front, tandis que les timoniers se battaient avec la lourde barre franche.

L’un d’eux glissa sur le pont sous l’effet d’un coup de roulis, mais un autre prit sa place, ses orteils nus se recroquevillant sur les bordés pour garder leur prise.

— Sud-ouest quart-ouest !

— Il se défile, ce chien, Commandant, observa Allday avec un calme olympien.

Le ton de sa voix ne trahissait qu’un intérêt très professionnel pour les huniers zébrés d’embruns de l’autre navire. Mais Bolitho connaissait trop bien Allday : la remarque n’était pas anodine. « Il est comme moi. » Son patron d’embarcation cachait ses sentiments et montrait un masque impassible à ceux qui tentaient d’y lire leurs propres espoirs ou craintes. Paice, qui avait entendu le commentaire d’Allday, rétorqua sèchement :

— Par Dieu, je ne vais pas le laisser filer, ce gredin !

— Faites tirer un coup de semonce devant son étrave, monsieur Paice ! ordonna Bolitho.

Paice, qui ne connaissait d’autre méthode que la sienne, lui lança un regard de surprise :

— Nous sommes censés ouvrir le feu à bonne distance, comme un simple signal.

Bolitho eut un bref sourire.

— Tirez aussi près que votre pointeur en est capable. S’il refuse de mettre en panne, il disparaîtra à la faveur de la nuit, non ?

Du coin de l’œil, il surprit le sourire d’un matelot qui donna un coup de coude à son camarade. Le prenaient-ils pour un fou, ou venaient-ils seulement de comprendre que leur cotre, après tout, était un navire de guerre ?

George Davy, l’armurier, veillait personnellement au chargement et au réglage de la pièce de six la plus à l’avant, sa main calleuse posée sur l’épaule du chef de pièce. Les servants jouaient de l’anspect et ajustaient les bragues de leur mieux.

Paice mit ses mains en porte-voix :

— Chargez aussi la caronade bâbord, monsieur Davy !

Bolitho serrait fébrilement les poings pour essayer de ne pas trembler. Paice avait pris la situation en main. Si le brick se disposait à combattre, ne fût-ce que pour infliger des avaries irréparables au gréement ou aux voiles du Télémaque, il était judicieux de charger la redoutable pièce de vingt-quatre, qui pouvait prendre en enfilade l’arrière du navire ennemi.

— Feu !

Bolitho était à terre depuis bien longtemps, et depuis plus longtemps encore il n’avait pas été exposé au formidable tonnerre d’une bordée de frégate ; la détonation d’une pièce de six suffisait à lui faire mal aux tympans :

— Misérable petite pétoire ! grogna Allday.

Bolitho aperçut le jeune Matthew Corker à genoux près d’un canon, à l’arrière, agrippé des deux mains à un seau de sable et regardant les servants de la pièce de six en train de recharger ; en présence de l’officier supérieur debout aux côtés de leur commandant, il valait mieux respecter les procédures à la lettre.

— Baisse-toi, mon garçon ! ordonna sèchement Bolitho.

Le garçonnet leva vers lui des yeux candides : il n’avait pas peur. L’ignorance. « D’ailleurs, est-ce que j’en sais plus long que lui ? » se demanda sombrement Bolitho.

La mer, trop agitée, empêchait que l’on pût repérer la gerbe au point d’impact du boulet, mais l’angle formé par les mâts et les huniers du Loyal Chieftain ne changea pas d’un degré ; le brick poursuivait sa course plein vent arrière.

— Un coup au but, cette fois, je vous prie, ordonna Bolitho à Paice qui l’interrogeait du regard.

De nouveau, un recul brutal secoua la pièce de six sur ses palans de bragues. Bolitho leva sa lorgnette juste à temps pour voir le grand hunier du brick accuser une violente secousse, avant de se déchirer de l’envergure à la bordure ; le vent se mit à fouailler sauvagement la perforation et bientôt toute la voile ne fut plus que rubans déchiquetés flottant au vent. Quelqu’un lança une huée sarcastique, Hawkins eut un grand cri :

— Le voilà qui vient au vent, Monsieur !

— Même s’il met à la cape, monsieur Triscott, avertit Paice, gardez l’avantage du vent. Est-ce bien compris ?

Sa voix tremblait sous le sentiment de l’urgence.

Bolitho s’écarta pour laisser passer Paice qui allait et venait à grands pas, très à l’aise en dépit de sa grande carcasse, de la présence des matelots et du fouillis de cordages et d’outils qui jonchaient le pont.

— Chargez les pièces bâbord, monsieur Triscott, mais ne mettez pas en batterie.

Il pivota sur ses talons :

— Réduisez la toile, monsieur Hawkins. Affalez la trinquette !

Ses yeux tombèrent sur Bolitho comme par hasard :

— Si cela vous convient, Monsieur ? ajouta-t-il pour se rattraper.

Le brick, trinquette basse, se vautrait lourdement à la cape sous foc et petit hunier. Les deux navires étaient à présent à moins d’une encablure l’un de l’autre. Les mâts et le gréement de leur proie avaient de chauds reflets cuivrés.

On ne remarquait guère de gabiers sur ses vergues, ni d’ailleurs de matelots sur le pont. Mais le navire manœuvrait avec aisance. A bord du Télémaque, les chefs de pièce se tournaient l’un après l’autre vers l’arrière, poing levé pour signaler qu’ils étaient prêts à faire feu. Bolitho savait que, sur un signe de lui, le brick serait balayé par la mitraille avant de pouvoir leur porter le moindre coup.

Paice détacha le poignard qu’il portait au côté et ordonna :

— Mettez la yole à l’eau, monsieur Hawkins, avec vos meilleurs nageurs. Il va falloir souquer dur, avec cette mer !

— J’aimerais vous accompagner, hasarda Bolitho en le fixant du regard. J’imagine que vous y allez vous-même…

Paice approuva de la tête :

— Mon second, répondit Paice en hochant la tête, peut parfaitement assurer le commandement en mon absence, Monsieur.

— Ce n’est pas ce que je vous demandais.

— C’est mon privilège, Monsieur, insista Paice en haussant les épaules.

— Très bien.

Il éprouvait la volonté du lieutenant comme quelque chose de physique, de difficile à maîtriser. Il ajouta :

— Il vaut mieux que je vous accompagne, pour vous comme pour moi, n’est-ce pas ?

Le calme dont il faisait preuve aidait Paice à brider ses émotions, même si Bolitho se sentait lui-même un peu débordé par les siennes. Sûr que si ce Délavai était pris la main dans le sac avec à bord des produits de contrebande, Paice le tuerait. Et en qualité de supérieur d’un meurtrier, Bolitho risquait d’être accusé de l’avoir couvert.

Bolitho regarda la yole qui se balançait vertigineusement à ses palans tandis qu’on la mettait à l’eau. L’équipage du brick allait peut-être prendre la fuite dès qu’il se serait assuré de leurs personnes :

— Monsieur Triscott, lança Bolitho, s’ils tentent de faire servir, ouvrez le feu !

Il précisa d’un ton cassant :

— Sans égards pour nous !

Triscott sembla soudain bien jeune et vulnérable, son regard allait de Paice à Bolitho.

— Bien, Monsieur, balbutia-t-il, si tels sont vos ordres.

— Oui, renchérit Paice, et je les approuve !

Des bras vigoureux rangèrent la yole le long de la muraille. De nouveau, Bolitho fut frappé par la sûreté de la manœuvre : les ordres étaient rares, brefs, précis ; jamais le moindre coup de garcette. Il se demanda si tous les cotres étaient aussi bien menés. Il jeta un regard à Paice qui prenait lourdement place à ses côtés dans la chambre de l’embarcation. Peut-être le mérite de la discipline en revenait-il à cet homme impénétrable, égaré par ses fantômes…

— Hors les avirons ! Suivez le chef de nage !

La voix tonnante d’Allday fit sursauter quelques matelots de l’équipage de la yole. Mais le patron d’embarcation de Bolitho n’avait nulle intention de rester simple spectateur : il était là à son affaire, et Bolitho n’allait sûrement pas le laisser à l’écart, après tout ce qu’ils avaient connu ensemble.

L’embarcation monta vivement à la lame et plongea brutalement dans le creux suivant. Habile au gouvernail, Allday la dégagea du clapot, qui se réfléchissait sur la voûte du cotre. Bolitho aperçut l’enseigne blanche qui claquait à la corne de grand-voile, au-dessus de sa tête, et soudain il songea à feu son frère Hugh. Quel gâchis ! Tout cela pour rien ! Il tourna son attention : les mâts de flèche du brick détachaient leurs spirales sur le ciel d’orage. Inconsciemment, il serrait fortement son épée contre sa cuisse. Hugh s’était montré indigne d’elle. A présent, elle était de nouveau exposée : dans quelques minutes, le seul qui fût capable de la porter avec honneur aurait peut-être vécu.

Quelques visages dépourvus d’expression apparurent au-dessus du pavois. Les hommes du brick gardaient le silence, n’affichant ni crainte ni défi.

Paice empoigna son porte-voix :

— Nous montons à bord ! Pas de résistance !

— Maintenant ou jamais ! fit Allday à mi-voix. Une décharge de mitraille, pour sûr, et ils nous réduiraient en brouet !

Coupant court à ces considérations, il haussa brusquement le ton :

— Holà, brigadier ! Tu dors ? Pare à aborder !

Il donna un coup de barre et vit jaillir le grappin du brigadier ; le crochet fit le tour du hauban, résonna contre la muraille et remonta se bloquer solidement sous le porte-hauban :

— Rentrez les avirons !

Allday empoigna le bras de Bolitho qui s’accroupit, prêt à quitter la yole qui dansait sur les vagues.

— Je suis avec vous, Commandant, souffla-t-il.

Et il ajouta avec un petit rire guttural :

— Comme au bon vieux temps.

Chacun à son tour, ils prirent leur élan pour sauter de l’embarcation et se hisser jusqu’à la petite coupée. Bolitho jeta un bref coup d’œil autour de lui et identifia le capitaine, petite silhouette nerveuse près de la barre ; sanglé dans un habit bleu impeccable, l’homme affectait un air détaché. Paice n’avait pas encore ouvert la bouche, mais Bolitho savait déjà que c’était Délavai.

Paice dégaina son poignard et se dirigea vers l’arrière à grands pas ; sa voix puissante dominait aisément les claquements de la toile et le tumulte des vagues derrière les pavois.

— Que personne ne bouge !

— Tiens, c’est vous ? riposta Délavai. Mais de quel droit ?

Paice fit un geste impérieux à l’adresse du timonier, dont le sabre d’abordage tomba sur le pont avec un tintement clair.

— De quel droit ? Au nom de Sa Majesté ! Et fermez-la.

D’un signe il s’adressa à l’officier marinier qui l’avait accompagné dans la yole, et qui se hâta de distribuer des ordres ; il ignorait les matelots du brick, ils n’existaient pas. Paice annonça :

— J’ai l’intention de perquisitionner votre navire. Après quoi…

— Vous perdez votre temps. Pire, vous me faites perdre le mien.

Ses yeux noirs jaugèrent Bolitho en un éclair : l’uniforme bleu tout simple, l’épée démodée encore au fourreau.

— J’élèverai les plus vives protestations en haut lieu. Tout ce que je fais est parfaitement légal.

— Quelle est votre cargaison ? coupa Bolitho.

Un éclair de triomphe flamboya dans les yeux de Délavai :

— Rien. Je navigue sur lest, comme vos zélés matelots ne tarderont pas à le constater.

Il ricana sans la moindre gêne :

— Mon intention était de me rendre à Amsterdam. J’ai des affaires régulières là-bas. Vous pouvez vérifier sur mon journal de bord…

Bolitho sentait monter la colère et l’impatience de Paice ; il demanda calmement :

— Et vous avez changé d’avis ?

— Pour différentes raisons. Le mauvais temps, les mauvaises nouvelles de France…

L’officier marinier était de retour. Il vint se placer près de Paice, tournant le dos à Délavai. Il déglutit avec effort :

— Rien, Commandant. Du lest, rien que du lest.

Il avait l’air presque effrayé de sa découverte :

— Qu’est-ce que je vous avais dit ? intervint Délavai.

Levant le menton, il défia Paice du regard :

— Vous me le paierez.

D’un geste brusque du bras, il désigna sur le pont une silhouette inerte couverte d’un morceau de toile à voile, et poursuivit d’un ton presque caressant :

— Vous avez ouvert le feu sur mon navire.

— Vous tentiez de fuir, vous refusiez de mettre à la cape ! Et bon Dieu, n’essayez pas de me tenir tête !

Un matelot ayant écarté la toile, Bolitho aperçut un cadavre en tenue de marin. Une lourde poulie, dont une joue était maculée de sang et de cheveux, était posée à côté du mort. Le front et le crâne de l’homme avaient éclaté, mais le visage était intact.

— Je n’ai pas tenté de fuir. Mais comme vous pouvez le constater, mon équipage n’est pas assez nombreux : j’ai des hommes sur un autre bateau. Voilà pourquoi il m’a fallu du temps pour venir au vent et mettre à la cape.

Il hocha la tête plusieurs fois :

— Je ne manquerai pas de préciser tous ces détails dans mon rapport aux autorités compétentes !

Bolitho appuya derechef son épée contre sa jambe. Pas de chance. Le boulet avait coupé plusieurs manœuvres, et cette poulie avait tué l’homme en tombant. Le genre d’accident qui pouvait arriver à bord de n’importe quel navire. Mais le moment était on ne peut plus mal choisi.

— Monsieur Paice, conclut Bolitho, nous retournons à bord du Télémaque.

Même un corps à corps sanglant aurait été mieux que ça, pensa-t-il. Mais Dame Chance, comme l’appelait toujours Thomas, était contre eux depuis le début de cette affaire. Il regarda Paice, qui semblait avoir recouvré tout son sang-froid : nulle trace de colère sur son visage. Tandis qu’ils dégringolaient comme ils pouvaient dans leur yole, personne à bord du brick ne souffla mot, ni ne lança la moindre remarque désobligeante : Délavai n’allait pas gâcher sa victoire par un faux pas de dernière minute.

La yole n’était pas encore saisie sur le pont du cotre que Bolitho s’enfermait déjà dans sa cabine. Il se laissa distraire par les bruits du navire qui reprenait de l’erre : le grincement des drosses à l’arrière, la chute bruyante d’une coupe tombant d’une table au moment où le cotre reprenait de la gîte. Après s’être assuré que la yole était convenablement arrimée, Allday s’était remis en faction à la porte de la cabine. Pauvre Allday ! Comment réagirait-il si son maître venait à tomber en disgrâce ? Bolitho se mordit la lèvre : il en connaissait plus d’un qui ne seraient pas mécontents de le voir renvoyé à Falmouth.

Paice se coula dans la cabine. Son uniforme était encore noir d’embruns. Bien qu’il fût maître à son bord, il attendit pour s’asseoir d’y être invité par Bolitho. Il semblait fatigué, tendu-un autre homme.

— Je suis navré, attaqua Bolitho sans perdre de temps. C’est vous qui aviez raison et moi qui ai eu tort. Je veillerai à ce qu’aucun reproche ne vous soit fait. C’est moi qui ai donné l’ordre d’arraisonnement.

Il leva lourdement le bras, comme si sa manche était emplie de grenaille de plomb :

— Non, écoutez-moi ! C’est moi qui vous ai donné ordre d’ouvrir le feu. Peut-être ai-je encore pensé…

Paice attendit un instant avant de repartir :

— Non, Monsieur, vous ne vous êtes pas trompé. Si quelqu’un doit être blâmé, c’est moi. Pour avoir cru, ne fût-ce qu’un moment, que Délavai était assez sot pour se laisser surprendre si facilement.

Bolitho laissa son regard errer un instant dans la petite cabine où s’agitaient des ombres folles sous les mouvements de la lanterne.

— Eh bien, dites-moi ce qui vous a fait changer d’avis.

— Délavai savait, précisa calmement Paice, que nous étions à sa recherche, il a voulu nous prouver qu’il avait déjoué nos plans.

— Vous voulez dire que tout était prévu ?

— Pas tout à fait.

Paice serra et desserra à plusieurs reprises ses poings velus, comme si son calme apparent ne s’étendait pas jusqu’à l’extrémité de ses membres.

— Ce cadavre… Le matelot n’a pas été tué par la chute d’une poulie. Voilà pourquoi ce scélérat a tenu à me montrer son visage.

— Vous le connaissiez ?

— C’était mon informateur, celui qui m’avait annoncé le coup.

— Eh bien, nous n’y pouvons pas grand-chose.

— Délavai, poursuivit Paice avec un profond soupir, est originaire des îles anglo-normandes. On prétend qu’il a été forcé de quitter Jersey. A cause de sa cruauté, quand il commandait un corsaire, là-bas.

S’imposa à Bolitho l’image de l’épaule nue de Viola, sauvagement marquée par Tuke alors qu’elle était sa captive. Le souvenir était toujours aussi net. Il croyait entendre encore les ricanements de Tuke, quand ils tournaient l’un autour de l’autre sur le pont ensanglanté du Narval, cherchant l’ouverture à la pointe de l’épée.

— J’ai déjà rencontré un monstre de cette espèce, finit-il par articuler.

Paice le dévisagea plusieurs secondes :

— Il a dû le torturer après avoir découvert qu’il nous renseignait. Puis il l’a achevé. Qui sait s’il n’échangeait pas aussi des renseignements avec les autres ? De toute façon, ils en ont fini avec lui, et nous ne pouvons rien prouver.

Il prit une longue et profonde inspiration et se détendit jusqu’à la pointe des orteils :

— Ainsi, Monsieur, vous aviez raison : le Loyal Chieftain nous a servi d’appât. Et Délavai n’a pas pu résister au plaisir de signer de sa griffe toute cette mise en scène – ceci à mon intention. Mais un de ces jours…

La phrase resta en suspens : il n’avait pas besoin d’en dire davantage.

Il se leva et se pencha pour franchir la porte :

— Souhaitez-vous que nous retrouvions le Wakeful ?

Bolitho le fixa, comme frappé d’étonnement :

— Le Wakeful ? Mais bien sûr, parbleu ! Seul le Wakeful savait que j’étais à votre bord.

Paice se frotta furieusement le menton, toujours cassé en deux pour sortir de la cabine :

— Vous n’allez tout de même pas imaginer…

Bolitho sentit un violent frisson lui monter le long de l’échine :

— Je ne connais pas Délavai, mais croyez-moi, je sais comment raisonnent les gens de son espèce. Il ne s’est pas intéressé à moi une seconde. Pas la moindre curiosité. C’est vous qu’il voulait humilier et terrifier. Non ?

— Je crains bien que si, Monsieur, opina sombrement Paice.

— Prenons un verre ensemble avant de virer de bord.

Il eut un geste pour étreindre le bras massif du lieutenant :

— Tout n’est pas dit. Mais gare aux dégâts quand le combat sera terminé !

Allday remarqua que la voix de Bolitho avait changé ; il aurait presque pu le voir redresser à nouveau les épaules.

— Eh bien, tournons la page pour l’instant.

Allday ne put retenir un sourire.

 

 

Toutes voiles dehors
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